Sartre me revient en mémoire à cet instant précis. Comme toujours la philosophie m’accompagne, dans chacun de ces moments, dans chacune de ces émotions. Comment la réflexion et l’analyse peuvent-elles être présentes, prises entre tant de pulsions, d’états d’âmes et de sentiments ? Je n’en sais rien et même s’il serait bon de voir la réalité en face, je ne veux pas y penser. Pour éviter de me faire du mal.
Pourquoi vivre, pour quoi vivre si l’on n’est pas fidèle à soi-même ? J’aimerais comprendre cette attitude, cette négation de soi-même au profit du regard des autres, qui au passage, n’en ont strictement rien à foutre. Dans la plupart des cas. C’est si simple de se cacher derrière ce prétendu regard… le problème, l’obstacle est-il réellement là ?
Pourquoi se créer sans cesse des problèmes, pourquoi se mettre continuellement des barrières, si l’on n’entreprend rien pour les franchir et les surpasser ? Pourquoi aller à l’encontre de ce que l’on est ? Cela est-il si gênant de se voir ainsi ? Si tant est que c’est difficile, puisque la vie est un jeu, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
C’est une boule de colère qui germe en moi, elle tourne et se retourne, sans trouver de soulagement. Sartre l’a dit : nous sommes libres. Liberté engage choix de choisir, qui comprend à son tour responsabilité et qui dit responsabilité, dit aussi engagement. Comment nier son engagement ? Comment ne pas, au moins, respecter cette liberté donnée ? Comment ne pas assumer sa propre liberté, comment se faire prisonnier et esclave par soi-même ? Comment accepter, de son gré, de ne pas être libre, comment décider de rester passif ? Comment tout faire pour éviter l’engagement, comment ne jamais oser s’engager, avant tout pour soi-même et préférer se nier et se soumettre pour les autres ? Pour tous ces autres qui n’en ont rien à foutre. Qui de leur côté font probablement pareil… mais nous ne sommes pas les autres, pas nous.
Pourquoi vouloir toujours trouver une raison à ce qui ne s’explique pas ? Pourquoi vouloir savoir si cela sert à quelque chose ? Servons-nous à quelque chose chacun(e) de notre côté, dans notre solitude ? Ne pas aller au bout de soi-même peut-il permettre de se sentir être ? Ne pas oser, toujours se réfugier dans le silence…est-ce cela servir à quelque chose ? Pourquoi pour une fois, ne pas se dire que cela ne sert peut-être pas à rien, mais qu’on ne peut le savoir a priori et qu’on l’ignore tant qu’on ne l’a pas vécu ?
Cette attitude simpliste qui consiste à poser des problèmes insolubles pour se sauver de certaines situations, ce fardeau, ce mensonge à porter sous figure de belle parure. On ne peut pas toujours se confondre en pardons, on ne peut pas passer sa vie à s’excuser d’exister, ni jouer avec les autres. Pas avec les autres qui nous aiment, pas avec ceux qui voient la magie des mots, pas avec ceux qui nous pardonnent toujours.
Pourquoi ne pas vouloir atteindre cette sphère si magique de la vie intérieure ? Pourquoi s’enfuir toujours lorsque le soleil est au zénith ? Pourquoi avoir tant peur et ne pas laisser les autres nous rassurer ? Pourquoi ne pas tendre cette passerelle entre eux et nous, pourquoi ne pas les laisser rentrer ? Si tout cela ne sert à rien, pourquoi ne pas alors tenter le tout pour le tout ?
J’aimerais comprendre, je ne demande que ça ou presque. J’aimerais comprendre pour que les choses changent, pour devenir ce que l’on désire, pour ne plus se retenir d’éprouver les sentiments les plus nobles qu’il puisse exister sur terre. J’aimerais dire « tu » mais préfère généraliser, car le monde paraît beaucoup moins effrayant lorsque nous décidons d’y entrer, de la faire tourner et d’en faire partie.
Pourquoi ne pas vouloir accepter la compatibilité probable entre deux âmes ? Pourquoi se refuser à tout cela, à une quête de bonheur peut-être inaccessible et vaine mais cependant inévitable ? Si tout est plus simple lorsque l’on se voile l’existence, je décide alors, momentanément de ne plus me laisser atteindre par tout cela, pour tenter d’être plus efficace et peut-être plus philosophe. Pour ne jamais avoir à me dire que je me suis laissée imposer des choses que je ne désirais pas, par laisser aller.
POUR NE JAMAIS REGRETTER.
Parce que le regret est le sentiment le plus difficile à digérer, le plus difficile à effacer, le plus impossible à faire disparaître. Parce que si je plonge, ne serait-ce qu’une seule fraction de seconde, j’aurai plongé pour toujours. Parce que je ne peux me résoudre à vivre de cette façon, comme les autres l’ont décidé. Parce que je peux tout perdre, je peux accepter de tout abandonner sauf moi-même. Parce que je peux même accepter de perdre la Sagesse, au prix fort… mais je ne peux pas décider de me perdre.
Décider de se poser des limites, de se mettre parfois des barrières, mais toujours pour avancer. Jamais pour s’arrêter. Parce que dans ce monde, s’arrêter c’est reculer. Et tomber. Inévitablement. Et je ne veux pas tomber, et rien ne me fera tomber parce que je l’ai décidé, parce que je l’ai choisi quoiqu’il m’en coûte, parce que je décide de vivre mon choix et non de subir ma passivité. QUOIQU’IL EN COÛTE.
Juste comprendre qu’il n’y a aucune prétention à tout cela. Juste comprendre que c’est une main tendue. Vers la Sagesse…
La Sagesse, qui me manque, qui est partout et qui me paraît inatteignable. Celle que je cherche à découvrir, que je m’emploie à entourer et qui m’échappe, par centaines de milliers de fois. Cette Sagesse, comme peut-être d’autres, juste faite pour moi.
Sartre n’avait pas tort, et tant que l’on se battra pour être, nous lui donnerons raison et lui rendrons sa dignité. Mais je crois, qu’auparavant, il s’agit surtout pour nous de (re)trouver la notre…
La colère se calme au fil de la pensée, sublimation toujours. Mais j’aimerais comprendre. Colère : pourquoi, pour qui, pour quoi ? Indéfinissable colère, qui me prend et obstrue ma vision, qui brouille ma réception, s’englue dans le sensible et échappe aux filets de la raison. Au pied du mur, moi j’ai le courage (si courage il y a) de me regarder, de regarder aussi autour de moi, de pleurer de découragement, de maudire ces autres avec un petit «a », de ne plus oser me retourner, de vouloir surpasser ce mur, même en m’écorchant l’âme à chaque ascension. De ne pas rester si sagement et confortablement prisonnière de ces belles briques. Nous sommes prisonniers dès lors que l’on considère ces fleurs qui nous retiennent, les mains attachées, à l’illusion rassurante ; comme belles. Je ne veux pas trouver mes bourreaux beaux. Nous DEVONS, (et il n’y a là aucune alternative, si ce n’est de se leurrer) voir enfin ces chaînes, dans toute leur réalité pour commencer à bien vivre.
Parce que décidément la vie n’est pas simple, ni facile… mais au bout du compte, elle n’est que ce que nous décidons qu’elle soit pour nous. Et malgré tout, j’aimerais croire toujours à ce que je suis en train de dire. Ne jamais perdre la foi en ces mots.
Et juste ne pas s’oublier, pour que dans ces moments, comme celui-ci, où l’on se sent si seul sur terre… on ne le soit pas de nous-mêmes.